Sur fond d'actualité mêlant crise sanitaire et guerre en Ukraine, les participants ont décidé de se pencher sur une notion qui paraît aujourd'hui menacée : la liberté. Bien que nous l'ayons déjà tous ressentie, plus nous nous y intéressons, et plus ce principe fondamental des sociétés modernes semble difficile à définir. Qu'est-ce que la liberté ? Sommes-nous libres ? Si oui, selon quels critères ? Ou au contraire, ne serait-ce en réalité qu'une illusion ?
Le sentiment de liberté semble intimement lié à la notion de contraintes. Celles-ci pourraient être classées en 3 catégories, de la plus rigide à la plus flexible :
Les contraintes "naturelles" : les lois de la physique couplées à notre condition humaine, qui nous empêchent de voler ou de voyager à travers le temps, et nous contraignent à manger et à boire régulièrement.
Les contraintes "sociales" : les lois érigées par les hommes pour vivre en société, qui nous sont imposées par les autres.
Les contraintes "conscientes" : celles que nous nous imposons volontairement en fonction de nos croyances ou de nos volontés.
Intuitivement, moins je subis de contraintes, et plus je me sens libre. Problème résolu ? Pas si vite. Prends le Café-philo par exemple : chacune de nos discussions est régie par des contraintes sociales strictement définies en début de séance. Pour cause : le cadre posé par ces règles permet à chaque participant de s'exprimer librement. Autre exemple : en m'imposant un exercice régulier aujourd'hui, je disposerai demain d'un corps plus fort et plus agile, qui me procurera un sentiment de liberté supérieur.
Certaines contraintes semblent donc accroître notre liberté. Un esclave peut-il pour autant se sentir plus libre que son maître ? Plus l'on avance, et plus la notion de liberté semble subjective, rattachée à la réalité uniquement par le biais du sentiment. Mais où réside donc ce sentiment ? A cette question, un participant nous dit qu'il proviendrait non pas de l'absence de contraintes, mais de notre capacité à refuser les contraintes qui nous sont imposées. En d'autres termes, la liberté ne serait autre que le sentiment qui résulte du choix délibéré de nos contraintes.
Mais il poursuit avec une question encore plus essentielle : à quoi bon désirer la liberté ? S'il existait quelqu'un, ou un algorithme me connaissant à tel point qu'il pourrait m'indiquer exactement ce dont j'ai besoin pour être heureux, n'aurais-je pas intérêt à le suivre aveuglément ? Vaste question, mais une chose est sûre : bien que l'absence de contraintes rime avec potentiel, seul l'engagement transforme celui-ci en réalité.
Peut-être qu'à long-terme, il faille inéluctablement choisir entre adopter nos propres contraintes, ou accepter celles qu'on nous impose. La liberté ne résulterait ainsi pas de l'absence de responsabilités, mais du pouvoir qui découle de notre capacité à assumer volontairement de plus grandes responsabilités.
Qu'en penses-tu ?
En somme, il semblerait que la liberté prend d’ordinaire deux formes : d’une part, la liberté est envisagée comme une absence de contraintes, conception qui selon moi est erronée, d’autre part, il existerait un sentiment de liberté découlant du fait d’envisager les contraintes non pas comme des limites à sa liberté, mais comme les moyens de réalisation d’un potentiel de liberté, au sens de pouvoir d’agir, bien que ces moyens en question imposent en même temps des limites à ce pouvoir d’action.
De fait, la première proposition est erronée, puisque sa prémisse anthropologique est fausse, autrement dit parce qu’elle se trompe d’emblée sur la nature de l’homme. En l’occurrence, cette proposition suggère forcément que l’homme est essentiellement tout puissant (ou du moins qu’il a vocation de le devenir), de sorte que ce qu’il en empêche apparaît nécessairement comme une entrave à sa liberté, au plein déploiement de cette toute-puissance. Or, cela revient à placer en l’homme des espoirs complètement démesurés et manifestement en décalage total avec le réel. Pourtant, c’est précisément cette anthropologie que présupposent, voire que formulent explicitement, les transhumanistes dans leurs efforts pour contourner les obstacles naturelles qui se dressent contre leur fantasme de toute-puissance humaine. Voire plus : https://youtu.be/uipRrMB2wNY
Ainsi, c’est seulement dès lors que l’on reconnaît les limites naturelles (et artificielles), qui s’imposent à l’homme, comme des limites qui lui sont consubstantielles et non accidentelles, que les contraintes apparaissent soudainement comme des moyens nécessaires pour le plein déploiement de sa liberté.