L'expérience est-elle indispensable à la connaissance ? | Fribourg #33
- Mikael Dürrmeier
- 16 juin
- 3 min de lecture
C’est en forgeant qu’on devient forgeron, dit l’adage. Mais de façon plus générale, au-delà des savoir-faire, l’expérience est-elle indispensable à la connaissance ? Y a-t-il des connaissances que nous n’acquérons pas par l’expérience, ou par une expérience ?
Pour tenter d’y répondre, il nous faut d’abord affiner notre définition de la connaissance. Nous rendre compte qu’elle est une somme de savoirs, pratique ou théoriques, touchant à des domaines divers et variés. Cette somme, amas d’informations, de souvenirs et de réflexions, dépend du parcours et du contexte de chacun·e. Mes connaissances ne sont pas les mêmes que celles de mes ancêtres, ni celles de mes voisin·es.
Un participant propose ensuite une définition dont l’articulation occupera une majeure partie de ce café-philo : “la connaissance, c’est un modèle qui fonctionne dans la réalité”. Sa proposition a l’avantage de requérir une expérience du réel, laquelle peut autant servir d’instance de validation du modèle que d’occasion pour son ajustement. De plus, elle conserve l’idée que nos savoirs sont toujours situés dans un contexte et une perspective donnée.
En suivant cette définition de la connaissance comme modèle – au sens de structure –, il semble qu’il faille répondre “oui” à la question initiale. Dans la définition donnée, l’expérience est indispensable pour la vérification de la connaissance. Et il est permis de supposer que, dans cette logique, elle le soit aussi pour la constitution de la connaissance. Indispensable, aussi bien en amont qu’en aval. Voilà qui est inspirant.
Il nous faut maintenant mettre la définition à l’épreuve par des contre-exemples. D’abord, suivant sa formulation exacte, pouvons-nous dire qu’une voiture ou une forêt possèdent de la connaissance, puisqu’il s’agit de structures qui fonctionnent dans la réalité ? La forêt échange certes des informations entre ses éléments mais quid de la voiture ? Peut-être faut-il ajuster la définition et parler de “modèle de savoirs”, le savoir impliquant quelque chose comme une acquisition consciente ?
Soit. Mais que faire si le modèle de savoirs ne fonctionne pas dans la réalité ? Pensons à Galilée, seul à penser que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, et non l’inverse. Répondre à cet exemple nous permet d’affirmer que la vérité, la validité du modèle de savoir, ne doit pas, selon sa teneur, se limiter aux contextes normatifs humains. Ici, ce n’est pas le modèle de Galilée qui ne fonctionnait pas dans la réalité in fine, c’était celui de tout l’Occident.
Il en va ici de la portée du modèle, la connaissance possédant une valeur de vérité toujours plus grande à mesure qu’elle dépasse les situations particulières et contingentes pour hisser ses prétentions à l’universalité. D’ailleurs, plus la réalité où fonctionne ce modèle est restreinte, plus on parlera de croyance puis d’opinion ou d’avis. Si les lois de la physique semblent plus vraies que les affirmations des religions, c’est parce qu’elles semblent atteindre un plus haut degré – non normatif – de réalité, et donc de vérité.
Troisième contre-exemple. Je peux savoir que Christoph Colomb a découvert l’Amérique en 1492 mais je n’ai aucun moyen de le vérifier et, surtout, je n’en ai pas fait l’expérience. Est-ce donc une connaissance ? C’est alors qu’une participante propose une nouvelle définition : “la connaissance, c’est un accès dans la conscience à un objet X acquis par les sens (au sens large)”. On dira alors que c’est mon expérience de la lecture d’un texte sur Christophe Colomb qui m’offre une connaissance.
Cette deuxième définition a l’avantage de rendre compte d’une variété d’expériences sensibles comme sources de connaissance : les (plus que) cinq sens, émotions, réflexes, etc. Elle affirme à nouveau la question initiale et permet aussi de comprendre pourquoi il y a une certaine validité des illusions ou de la folie. Mais elle affirme ainsi que nos connaissances sont toujours limitées par la portée de nos sens, et rend la vérité plus relative…
Peut-être que la solution se trouve quelque part, dans la conjonction de ces propositions.
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