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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
27 mai 2023
In Forum de discussion
Intuitivement, nuire à autrui semble quelque chose d’immoral. Mais se nuire à soi-même, est-ce aussi quelque chose de moralement répréhensible ? Et si oui, dans quelle mesure ? La question de ce café-philo, pour proposer une esquisse de réponse, en appelait à trois premières distinctions. Primo. Il faut distinguer les actes conscients et volontaires des actes qui ne le sont pas. Se cogner par maladresse ou par manque de lucidité semble moins immoral que de se frapper volontairement, en toute connaissance de cause. Cela dit, dans les deux cas, il n’est pas moralement souhaitable de se faire du mal. Secundo. Il faut distinguer la nuisance faite exclusivement à soi de la nuisance à soi qui cause, en corollaire, du tort à autrui. Si quelqu’un·e se fait du mal, cela peut avoir des conséquences sur l’entourage de cette personne, voire des coûts sociaux comme des frais d’hospitalisation selon la nature du tort causé. En ce sens, une nuisance à soi-même peut contenir ou devenir une nuisance à autrui, laquelle est immorale. Tertio. Il faut distinguer les nuisances faites à soi pour se faire du mal et les nuisances faites à soi en vue d’un plus grand bien. Qu’une personne s’empêche de manger pendant plusieurs jours pour des raisons spirituelles ou politiques, cela semble acceptable. Que cette même personne le fasse juste pour expérimenter les limites de son corps quitte à ce que cela laisse des séquelles, cela semble plus ou moins acceptable. Que cette même personne le fasse pour aucune raison, cela ne semble plus acceptable. Ces distinctions permettent de distinguer nombre de variantes au sein de la question initiale. Elles nous permettent d’affirmer qu’une personne qui 1) se ferait du mal volontairement, 2) en impactant en deçà ses proches ou des tiers et 3) sans raison externe justifiant son acte commettrait un acte immoral. Elles nous offrent aussi un argumentaire pour expliquer, par exemple, que la personne qui commet un attentat terroriste en se faisant exploser dans un lieu public cause un tort moral même si elle a été manipulée psychologiquement (1) et/ou qu’elle a agi pour des raisons profondément nobles (3) car son geste nuit tout de même gravement à autrui (2). Mais si nous avons ces critères, nous pourrions alors dire qu’une personne se faisant du mal inconsciemment (1) et en vue d’un plus grand bien (3) et sans réelle conséquence sur son entourage (2) ne commettrait pas un acte immoral, n’est-ce pas ? Dans ce cas, serait-il moralement acceptable de fumer quelques cigarettes (2) sans avoir conscience des conséquences (1) pour se donner un genre ou se faire accepter au sein d’un groupe (3) ? Face à cet exemple, les avis divergent directement car la manière dont nous évaluons chacune de ces distinctions se fait à partir de nombre de critères socio-normatifs plus précis. Ici, la question de la conscience des conséquences de la fumée (1) est largement discutable. En effet, chaque distinction posée possède ses propres degrés d’acceptation morale ou non. Et donc ses zones grises : Primo. Jusqu’où un acte est-il volontaire et conscient ? Quid de la fumée, de la “fumette” ou de la consommation de substances ? Quid de l’automutilation ou encore de certains troubles alimentaires ? Quid des comportements dérivant de troubles en général ? Secundo. Jusqu’où s’immisce notre responsabilité à l’égard d’autrui ? Si une nuisance à soi-même peut contenir ou devenir une nuisance à autrui, ne sommes nous pas toujours partiellement responsable des autres dans la façon dont nous (ne) prenons (pas) soin de nous ? Tertio. Jusqu’où pouvons-nous nous faire du mal pour une cause jugée noble ? Quid des sports extrêmes ? Quid du don d’organes ? Quid de l’épuisement militant, relationnel, parental ou professionnel ? Tant d’ouvertures aux cas particuliers qui laisseront, une fois de plus, la question initiale sans réponse finale. Il n’empêche que nous pouvons retenir ceci : chercher à prendre soin de soi et des autres jour après jour, expérience après expérience en passant des réussites aux échecs et des échecs aux réussites, devrait nous aider à trouver des réponses qui, à défaut de pouvoir être érigées au rang de vérités universelles, auront au moins eu le mérite de nous aider à contribuer à la beauté du monde qui nous entoure, et à réduire le mal que nous pourrions lui causer. Aimer son prochain comme soi-même, en somme. Ce n’est peut-être pas une réponse directe à la question donnée, mais c’est tout de même une clé qui devrait nous permettre de cheminer vers celle-ci.
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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
17 avr. 2023
In Forum de discussion
Nouveau café-philo, nouvelle question. Politique, une fois de plus. Mais en même temps, tout est politique. Jusqu’où devons-nous tolérer ? Jusqu’où nous le pouvons, cela dépend de nos capacités mais jusqu’où devons-nous le faire ? Des blagues aux gestes déplacés, d’une personne qui parle fort au téléphone dans notre wagon à un parent qui violente son enfant dans la rue où nous passons, des propos d’un vieil oncle à ceux d’un parfait inconnu, où se situe la (ou les) limite(s) à la tolérance ? Essai de définition pour commencer : Tolérer, c’est accepter une différence, qu’elle soit d’opinions, de valeurs, de jugement, d’attitude, etc. Cette différence se distingue par le fait que nous la jugeons négativement. En effet, si mon ami·e s’est teint·e les cheveux en bleu et que cela ne me dérange pas le moins du monde ou que je trouve que cela lui va bien, alors il n’y a pas lieu de dire que je « tolère » sa nouvelle teinture. Tolérer, c’est faire de la place à quelque chose qui ne nous convient pas vraiment, mais qu’il nous semble mieux d’accepter, d’accueillir. Un ami juriste, habitué des cafés-philo, formule la tolérance comme suit : « c’est un pacte minimal de non-aggression ». Minimal car la tolérance vise à créer, métaphoriquement parlant, un espace de coexistence maximale des libertés individuelles et/ou collectives, libertés qui peuvent être sources de différences. Et pourquoi ? Au nom de l’intérêt, du bien commun, répond une autre voix. Plus une société est tolérante, plus les libertés de chacun·e sont grandes. Voilà bien des termes lourds en connotations qui rendent difficile – et relative – toute tentative de réponse à la question initiale. Pour déterminer la limite à respecter de cet espace politique à préserver – en d’autres termes, pour savoir ce que je dois tolérer ou non – il faudrait donc préalablement définir, dans un cas donné : L’intérêt ou les intérêts commun(s) en jeu (les valeurs) ; Les libertés en jeu (les personnes) ; Les nuisances faites à 1. et/ou 2. (les différences) ; Les limites acceptables pour 3., compte tenu de 1. et 2 (la tolérance). (Faites-le test avec les exemples initiaux pour clarifier.) Tout cela demande beaucoup de clairvoyance, de prise de responsabilité et donc de courage, tant dans la définition des points 1 à 4 que dans leur affirmation à l’égard d’une autre personne ou d’un autre groupe de personnes qui possède peut-être une tout autre conception du monde que moi. D’où cette question bien actuelle qui devrait-nous interroger : quand nous tolérons, n’est-ce pas parfois par lâcheté ?
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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
09 déc. 2022
In Forum de discussion
La question d’une potentielle prédétermination de nos actes se retrouve régulièrement à travers les discussions des cafés-philo. En effet, les questions morales et politiques dont nous discutons sont liées à des actes, individuels ou collectifs, physiques ou mentaux. Ces actes nous semblent souvent influencés par des circonstances environnantes. Parfois, cependant, ils nous paraissent surtout découler d’une intuition personnelle, d’une « volonté propre ». En d’autres termes, d’un « libre arbitre ». En somme, c’est l’existence de ce libre-arbitre que nous avons interrogé lors de cette rencontre du 6 novembre 2022. Au fil de la discussion, nous avons régulièrement évoqué des exemples d’environnements pour clarifier notre réflexion : le milieu social et familial, le milieu économique et politique, le milieu culturel et moral, religieux et spirituel, historique et géographique, etc. Toutes ces variables en constante variation – en harmonie ou en tension les unes avec les autres – ont un impact sur nos faits et gestes, nos valeurs et nos pensées. De notre physiologie à notre psychologie, notre environnement nous façonne comme nous le façonnons en retour, mouvement circulaire d’influences continues. Ces considérations faites, la question du libre-arbitre a vite gagné en importance. « Certes nous sommes influencé·es, mais jusqu’à quel point ? », nous sommes-nous demandé·es. Se pourrait-il que tous nos actes ne soient que le produit de nos influences ? Se pourrait-il que nous ne soyons par conséquent ni plus ni moins que la somme de nos expériences vécues et qu’il n’y ait aucune part de spontanéité dans nos décisions et nos actions ? La question suscite l’émoi, les doutes et les réactions. En effet, si nous répondons par l’affirmative, cela signifierait une chose avant tout : que nous ne sommes pas libres, que nous ne sommes que le produitspécifique – mais parmi d’autres – d’un vaste continuum dans l’espace-temps. Un produit produisant à son tour, mais vraisemblablement malgré lui. L’idée pourrait rassurer – car si je suis moins libre, je suis moins responsable – mais elle offusque car notre identité serait alors réduite au simple résultat d’une chaîne causale, idée frustrante pour les enfants d’une société du développement personnel et de l’affirmation de l’individu… La discussion se poursuit donc pour contester, non sans efforts, ce qui nous paraît comme une crainte. On cite l’importance du hasard dans l’espoir que nous puissions en produire de nous-mêmes. Mais rien n’est moins sûr. On raconte un bouleversement inattendu dans une vie. Mais nous parvenons à imaginer ce qui pourrait l’expliquer. Une voix mentionne les théories du chaos et la physique quantique pour nous rappeler que l’Univers a sa part d’aléatoire. Mais il n’en va peut-être que de l’état d’ignorance des sciences actuelles (et de notre ignorance collective à ce sujet)…Nous stagnons dans le doute et l’absence d’arguments déterminants. Et ce n’est peut-être pas plus mal. Une voix conclut en rappelant que, que nous soyons déterminé·es un peu ou beaucoup, totalement ou pas du tout par notre environnement, cela ne change rien de fondamental à la vie que nous avons vécu, ni à celle qui nous attend. Que nous soyons dôté·es d’un souffle propre ou toujours balayé·es par celui de l’existence, nous pourrons vivre, sentir, penser. Et croire ou non que nous sommes libres.
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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
05 nov. 2022
In Forum de discussion
Le sujet de ce café-philo portait sur une question bien actuelle. Alors que l’avenir semble particulièrement incertain, nombreuses sont les personnes estimant qu’il n’est plus souhaitable d’avoir des enfants. Et pourtant, les nouvelles générations sont une condition sine qua non de l’avenir d’une société. « Pas d’avenir donc pas d’enfants », affirment les un·es. « Mais pas d’enfants donc pas d’avenir », rétorquent les autres. A cet égard, faudrait-il qu’une politique des naissances soit imposée ou vaut-il mieux que chacun·e fasse ce qui lui semble judicieux ? Que faire ? Premièrement, prendre un peu de recul. Et interroger la volonté d’avoir des enfants. Les réponses n’ont tardé à suivre. Qu’importe les âges dans l’assemblée, les mêmes idées se bousculent, toutes plus pertinentes les unes que les autres. En quelques minutes à peine, tous les points clés de la question ont été mentionnés. Il fallait alors les approfondir, les relier. Se poser la question de sa parentalité implique tout d’abord la liberté de pouvoir se poser cette question. Nous vivons dans une société où les techniques de contraception n’ont jamais été aussi fiables et où les mœurs n’ont jamais été aussi libérales. En somme, nous n’avons vraisemblablement jamais été aussi libres de choisir d’avoir un·e enfant ou non. Très vite, de nombreuses voix reviennent à la question initiale pour prendre fermement position : hors de question que l’état impose une régulation des naissances, que celle-ci soit positive ou négative. Obligation ou interdiction d’avoir des enfants ou plus/moins de X enfants, qu’importe ; la parentalité doit rester une question privée. Affaire classée ? Non car les choses ne sont pas si simples, même dans la sphère privée. Une participante l’exprime clairement : « Parfois, c’est une envie qui me prend, immédiate, qui semble venir du fond de moi-même…Alors que ce n’est pas du tout le bon moment dans ma vie ! ». Instincts primitifs ou pure construction sociale, nous avons l’impression qu’une force – vitale – influe sur la question. Face à cette impulsion, nous examinons notre situation. Conscient·es que nous ne pouvons prendre l’entière mesure des responsabilités et des conséquences que cela implique, nous établissons des critères, posons des conditions. Et surtout, nous spéculons. Sur notre avenir et celui de cet être, encore hypothétique. C’est alors que la sphère publique se révèle essentielle. Nous réalisons que nos réflexions sont pétries d’injonctions sociales et influences culturelles, que notre environnement est aussi important que notre situation personnelle. La question de la parentalité est inévitablement aussi publique : soutiens aux familles, qualité de l’éducation dispensée, perspective d’avenir pour les parents et les enfants, stabilité économique et politique, etc. Tant de variables qui se mêlent à nos désirs et se confondent dans nos attentes. La question d’avoir des enfants est donc privée (en premier lieu) et publique (par son influence), qu’importe le contexte social. Privé, public. Individu, environnement. Une fois de plus, nous apprenons que l’un ne va pas sans l’autre. Cela dit, la discussion nous montre aussi que cette question nous dépassera toujours. Et c’est peut-être pour le mieux. Au final, ce n’est peut-être pas tant le choix que nous faisons qui compte mais la façon dont nous nous engageons dans ce qui est, et restera, une fascinante inconnue.
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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
30 mai 2022
In Forum de discussion
Si le travail semble essentiel à la condition humaine, il semble bien qu’il en aille de même pour le divertissement. Des débuts à la fin d’une vie, le jeu, les loisirs et les moments de détente sont constitutifs d’une vie dignement vécue et ce depuis la nuit des temps comme en attestent certaines découvertes archéologiques. Mais s’ils sont constitutifs, quel rôle, quelle place prennent-ils dans notre existence ? Le mot « divertissement » partage ses racines avec un autre mot : diversion. L’indice offert stimule l’intuition : quand on se divertit, c’est pour « faire une pause », « se libérer l’esprit », « se reposer » ou encore « se ressourcer ». En somme, il y a quelque chose dans le divertissement de l’ordre de l’échappatoire. Mais pour s’échapper de quoi ? La réponse se trouve probablement du côté de ce que nous opposons au divertissement : le travail et les responsabilités. En d'autres termes, le divertissement est synonyme de liberté, d’absence ou de réduction des contraintes. En ce sens, nous pourrions dire que le divertissement représente une sortie, une mise entre parenthèses des contraintes qui font notre condition. Par « condition », il faut comprendre, selon les cas, notre condition socio-professionnelle – d’étudiant·es, d’employé·es, de parents, etc. – comme notre condition humaine – sortir de la maladie ou de la fatigue, du deuil ou encore de certaines considérations spirituelles ou philosophiques. Un double-exemple permettra de clarifier et développer ces pensées : jouer du piano et regarder une série. Dans les deux cas, il y a des personnes pour qui ces activités représentent une source de divertissement et de liberté comme il y a des personnes pour qui elles renvoient à des devoirs, des responsabilités : la pianiste professionnelle doit préparer son programme de concert et la critique doit regarder la série jusqu’au bout pour terminer son essai. La même distinction s’opère entre les sportives amatrices et professionnelles. « Travail » au sens large et « divertissement » semblent donc être les deux facettes d’une même pièce : l’activité. Dans ces deux exemples, l’activité reste la même et c’est le rapport, les buts visés, en somme le degré d’engagement à son égard, qui change. Certaines personnes disent parfois qu’elles regardent des films pour « se distraire ». Intuitivement, cette approche semble avoir moins de valeur morale que lorsqu’une personne dit regarder des films pour se cultiver ou par passion. Si les deux cas renvoient cette fois à un divertissement, une nuance les distingue à nouveau en termes de degrés d’engagement. Dans le premier, nous sommes plutôt passif·ves et ne cherchons rien de plus qu’un moment de repos et de liberté, un plaisir rapide et simple. Dans le second cas en revanche, nous sommes plutôt actif·ves, prêt·es à y mettre un certain effort, une certaine attention car nous poursuivons tout de même certains buts au-delà d’une forme de repos, des buts simplement détaché·es de nos contraintes habituelles, comme lorsque la critique regarde un film pour son propre plaisir ou que la pianiste peut jouer son œuvre préférée, qu’elle soit au programme ou non. C’est peut-être ce qui fait que nous valorisons en général plutôt des activités comme la pratique d’un sport ou d’un art que des « activités » comme passer du temps sur les réseaux sociaux : toutes peuvent offrir un moment de liberté et une forme de repos mais certaines peuvent être plus enrichissantes, plus créatives que d’autres et nous permettre de mieux revenir à notre condition, de mieux faire face à nos contraintes. Une bonne séance de sport aide généralement mieux à se remettre au travail qu’une heure sur les fils d’actualité. Les jeux peuvent aider à synthétiser les apprentissages à tout âge et de toute pratique. Etc. Quelle place donc pour le divertissement dans une vie humaine ? Vraisemblablement, une place essentielle, libératrice et potentiellement enrichissante. Toutefois, force est de constater que si tous les divertissements semblent avoir des vertus libératrices, le divertissement peut devenir problématique dès lors qu’il devient source de procrastination ou de fuite vis-à-vis de nos responsabilités plutôt que temps de repos ou de prise de recul pour mieux y faire face par après. Comme pour toutes les sources de plaisir ou de liberté, la modération semble donc de mise, dans certains cas plus que d’autres puisque nous pouvons passer de longues heures d’affilées sur nos smartphones mais pas autant à lire ou faire du sport intensif. Et qu’en est-il de la place du divertissement dans une vie humaine aujourd’hui ? Question vaste que nous laisserons en suspens mais dont nous pouvons relever les premières impressions : nous sommes aujourd’hui dans une société où abondent, à toute heure, les possibilités de divertissement instantanées et les sources de distractions incontrôlées. D’une part, cette abondance nous incite au dérèglement mais d’une autre, ne serions-nous pas aussi plus enclin·es à chercher la fuite et la libération alors que nos existences se retrouvent toujours plus confrontées aux enjeux sans précédent de nos sociétés et aux contraintes et responsabilités qui en découlent ? Autre question qui restera ouverte à une réflexion ultérieure, probablement peu divertissante…mais probablement enrichissante !
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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
09 mai 2022
In Forum de discussion
Comment les traditions, qui semblent appartenir au passé, nous permettent d’évoluer en tant qu’individus, face à un monde aux défis toujours renouvelés ? Pour y répondre, il nous faut commencer par relever des traits communs qui caractérisent les traditions. Les traditions font partie de toute communauté. Toujours en relation au passé duquel elles émanent et tirent leur ancrage, toutes évoluent. Certain·es perdurent d’année en année, tandis que d’autres disparaissent au fil du temps. Les traditions semblent toujours présenter un certain aspect formel, souvent de l’ordre du sacré. Qu’il s’agisse de Noël, d’une fête populaire ou d’un mariage, il y a toujours des gestes, des rites, des pratiques codifiées qui se perpétuent à chaque occurrence de la tradition. Cet aspect de perpétuation est aussi important car les traditions se répètent au fil du temps ou d’une période donnée. Elles ont un caractère cyclique, marquant le début d’un temps, et la fin de celui qui le précédait. Un mot sur le mot, aussi. Dans « tradition », on trouve la racine latine traditio dérivée du verbe tradere qui signifie « transmettre ». En effet, les traditions sont des moments de partage, de transmission, d’une génération à l’autre, à travers des discours et des gestes, à travers une langue et une pratique communes, témoins d’une culture partagée. Les traditions renvoient à la culture et aux communautés dont elles font partie mais ce qu’elles nous transmettent avant tout, ce sont des valeurs. Les valeurs que porte une tradition sont sa raison d’être. C’est d’ailleurs pour cela chaque tradition possède ses histoires, ses mythes, ses anecdotes, ses explications sur la raison de tel acte ou de tel geste. Cette raison d’être, pour rester pertinente, évolue avec le temps, dialoguant sans cesse avec de nouveaux contextes dans lesquels la tradition se voit actualisée, au risque de disparaître. Ces valeurs sont, pour les préciser, symboliques car elles renvoient toujours à une grande « idée générale » comme le fait d’être en famille, le cycle de la vie, l’amour, etc. A travers la pratique et son discours, les traditions symbolisent un ensemble de valeurs pour nous rappeler leur importance et leur présence dans notre quotidien. Par exemple, le shabbat a pour but de rassembler la famille et de marquer un temps de repos et de calme, rompant avec la semaine dans laquelle ces valeurs ­– la famille, le repos, le calme – sont présentes mais s’étiolent face au rythme du travail et de la vie sociale. Plus qu’un simple reflet augmenté de notre existence, les valeurs d’une tradition tirent leur symbolique de l’héritage d’expériences, de mythes et de pratiques que nous associons à la tradition et auquel nous nous associons en faisant interagir les valeurs de cet héritage avec celles que nous avons héritées de notre parcours de vie et de nos expériences quotidiennes. Par conséquent et en conclusion, les traditions nous permettent d’évoluer dans la mesure où les valeurs qu’elles transmettent entrent en résonance avec les expériences et les valeurs qui font notre quotidien. Ces valeurs nous rappelent qu’une histoire, qu’une culture nous précède et que les valeurs qu’elle porte peuvent – si elles sont encore pertinentes – nous aider à trouver des réponses face aux enjeux contemporains. En cela, les traditions participent à la construction de notre identité, nous accompagnant le long du chemin dans notre existence. Une version plus développé de cette synthèse, abordant plus d'exemples comme le cas des traditions que nous trouvons problématiques aujourd'hui, est disponible dans la section Blog du site ou via ce lien. Bonne lecture !
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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
04 avr. 2022
In Forum de discussion
Au centre des choses qui nous constituent, il y a nos croyances. Avant d’être une limite, elles sont les fondements sur lesquels reposent nos valeurs, nos opinions, nos actions et même notre identité. C’est généralement parce que je crois en un certain nombre de choses – à la réalité des enjeux climatiques par exemple – que je pense et agis d’une certaine façon. Cependant, si nos croyances nous permettent d’avancer dans notre existence, il semble à première vue que, parfois, elles nous freinent aussi. Chacun·e a déjà fait l’expérience d’un échange où l’on s’emporte, incapable d’accepter le discours de l’autre et chacun·e connaît cette sensation désagréable qui survient lorsqu’on se rend compte que cette idée importante qu’on tenait pour vraie s’est avérée fausse. Pourquoi ce phénomène ? Pour le comprendre, peut-être qu’il faut d’abord essayer de distinguer les croyances des vérités. Serait-ce qu’une croyance implique un attachement émotionnel alors que la vérité est exempte d’émotions ? Est-ce que les croyances seraient plutôt du côté des expériences subjectives tandis que les vérités seraient plutôt du côté des faits, prétendus objectifs ? Les croyances seraient plus « limitantes » car, comme nous les tenons pour vraies d’une manière plus personnelle, nous avons plus de mal à admettre qu’elles puissent être erronées ? Plusieurs questions – parmi d’autres – et toujours la même réponse : oui, mais le contraire est aussi possible. Tentatives infructueuses, il semble vain de vouloir poser une distinction claire entre croyance et vérité sans se perdre dans des recherches épistémologiques probablement sans fin. En même temps, il ne faut pas oublier que les sciences sont in fine toujours basées sur des systèmes de croyances et que nous sommes des êtres aux capacités limitées. Si la vérité doit être quelque chose d’absolu et d’universel, alors il semble qu’en ce qui nous concerne, nous devons reconnaître que nous ne possédons que des croyances. Certaines nous semblent simplement plus vraies que d’autres. Toutefois, en reconsidérant les questions formulées, une nouvelle piste de réponse s’offre à nous. Chaque question formulée parlait de croyances et de vérités mais aussi, et peut-être surtout, du rapport que nous entretenons avec elles, indiqué ci-dessus par les termes en italiques. La voilà la clé qui nous permet de formuler des réponses : ce ne sont pas nos croyances en elles-mêmes qui limitent nos raisonnements et notre esprit critique, c’est notre rapport envers celles-ci. Ce n’est pas tant ce qu’on tient pour vrai qui compte (pour notre esprit critique) mais à quel point on y tient. Nous associons des valeurs à nos croyances, que ce soit volontairement ou non, influencé·es par notre environnement socio-culturel et historique, par notre éducation, par notre parcours intellectuel et psychologique, nos liens sociaux, des figures d’autorité, etc. Et plus nous attachons de valeurs à certaines croyances, moins nous sommes capables de nous en défaire. Plus d’attachement, moins de raisonnement. Qu’il s’agisse d’une croyance spirituelle ou d’une « vérité » scientifique. En conclusion, l’esprit critique implique donc avant tout une certaine capacité de détachement – elle aussi constituée et limitée par les influences externes mentionnées – plutôt qu’un grand savoir. Montaigne le résume clairement : « Mieux vaut avoir une tête bien faite qu’une tête bien pleine. »
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Mikael Dürrmeier
Co-animateur
21 févr. 2022
In Forum de discussion
La plupart des questions philosophiques naissent d’une expérience, vécue ou partagée. Dans notre cas, nous sommes parti·es de l’histoire d’un père qui, lassé par les claquements de portes continus de sa fille adolescente, avait retiré la porte de la chambre de cette dernière. Intuitivement, l’anecdote éveille un sentiment d’injustice. L’impact de la punition excède celui de la faute ; il porte atteinte à la vie privée de la jeune fille. Mais si nous ressentons une injustice, cela implique alors que nous avons une idée de ce que représente cette vie privée qui n’est pourtant pas la nôtre, une idée qui nous incite à estimer qu’elle mérite d’être protégée. Qu’est-ce donc que la vie privée ? Pourquoi doit-elle être protégée ? Et contre quoi ? En théorie, comme souvent, les choses sont simples et la question vite répondue. La vie privée est un droit fondamental. Article 13 de la Constitution suisse, Article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Affaire classée ? En théorie seulement. Car il nous faut encore en comprendre les fondements et observer la pratique. En effet, à l’heure de l’hyperconnectivité et du home office, de l’économie du Data Mining et de l’avènement du Web 3.0, des réseaux sociaux et de la surveillance de masse, les frontières de la vie privée semblent s’estomper face au développement effréné des outils numériques....La question initiale se déploie donc sur trois axes : une définition de la notion de vie privée, l’argumentation de sa valeur morale et juridique ainsi qu’une observation de la place de cette vie privée aujourd’hui. 1) La vie privée est souvent désignée comme une sphère, un espace. Un espace qui possède donc, logiquement, ses limites. Mais ses limites nous apparaissent rapidement comme variables plutôt que figées. La vie privée semble en effet se décliner en plusieurs couches, être pensée différemment selon les contextes : elle peut désigner l’intimité profonde de ma vie intérieure comme la privacité plus superficielle des secrets de cours d’école et des open space. Elle varie d’une culture à l’autre, change selon les valeurs morales, l’âge, le statut social, les pratiques mais aussi selon les personnes, plus ou moins pudiques, secrètes. Son cadre n’a donc rien d’universel mais aussi différente qu’elle puisse être d’une culture ou d’une personne à l’autre, la vie privée semble rester fondamentale à chacun·e. 2) La vie privée est donc un espace dynamique. Mais ce qui la définit vraiment, c’est son contenu : quelque chose qui m’appartient et que j’ai tendance à vouloir garder pour moi. Ce contenu, il a une valeur : la valeur d’une liberté totale que j’ai à son égard, la valeur de son unicité, de sa rareté. Mais cette valeur est aussi liée à sa fragilité, à sa vulnérabilité. Nous souhaitons que cette vie privée dont nous pouvons jouir à notre guise reste intime car sa révélation contre notre volonté pourrait nous faire du mal, nous rendre vulnérable. C’est pourquoi elle doit être protégée, érigée en droit fondamental. Notre vie privée n'est toutefois pas la seule. Il se trouve que le droit tolère aussi qu’une autorité enfreigne cette vie privée lorsque la vulnérabilité d’autrui est en jeu. C’est ce qui fait que l’état se permet de mettre sous surveillance des personnes présumées susceptibles d’actes terroristes. Le droit à la vie privée implique donc le devoir de ne pas en faire usage contre la vie (privée) d’autrui. Le droit protège donc aussi les vies privées, parfois l’une de l’autre. 3) Et qu’en est-il aujourd’hui ? La société contemporaine et ses innovations technologiques ne cessent de transformer notre rapport à la sphère privée, engendrant débats et rapports paradoxaux à la place actuelle de cet espace qui nous est propre. Les nouvelles lois, applications et plateformes sociales semblent offrir de nouveaux espaces, une extension de la vie privée tandis que la collecte massive des données et les traçages de plus en plus méthodiques et précis sont accusés de participer à son extinction, à la réduction de cette sphère qui nous semble alors en danger. Ce paradoxe reste à résoudre. Il souligne toutefois un sentiment qui nous mène à une conclusion : le sentiment d’une perte de repères. Dans la simplicité bien réglée d’un monastère ou d’une communauté restreinte, la place de la vie intime est bien plus réduite mais aussi clairement délimitée. Or, les méthodes et pratiques multiples que proposent les espaces numériques nous offrent de nouveaux possibles mais nous détachent justement d’un rapport plus direct à un élément fondamental de la vie privée, un élément qui la constitue comme il la détermine : l’autre, le public. Le privé naît de son opposition au public et le dynamisme de cette opposition, changeant selon les contextes, est ce qui détermine le cadre de la vie privée. Il n’y a pas d’espace privé sans un espace public qui me donne de la valeur. Et ce qui fait la valeur d’une chose, c’est justement le fait qu’elle peut, malgré tout et toujours, être partagée. Peut-être que c’est ce que nous souhaitons préserver en disant que la vie privée est un droit fondamental : la possibilité de partager ce qui nous appartient d’abord exclusivement. Et comme la vie privée, le partage n’est rien sans l’autre.
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