Si le travail semble essentiel à la condition humaine, il semble bien qu’il en aille de même pour le divertissement. Des débuts à la fin d’une vie, le jeu, les loisirs et les moments de détente sont constitutifs d’une vie dignement vécue et ce depuis la nuit des temps comme en attestent certaines découvertes archéologiques. Mais s’ils sont constitutifs, quel rôle, quelle place prennent-ils dans notre existence ?
Le mot « divertissement » partage ses racines avec un autre mot : diversion. L’indice offert stimule l’intuition : quand on se divertit, c’est pour « faire une pause », « se libérer l’esprit », « se reposer » ou encore « se ressourcer ». En somme, il y a quelque chose dans le divertissement de l’ordre de l’échappatoire. Mais pour s’échapper de quoi ? La réponse se trouve probablement du côté de ce que nous opposons au divertissement : le travail et les responsabilités. En d'autres termes, le divertissement est synonyme de liberté, d’absence ou de réduction des contraintes. En ce sens, nous pourrions dire que le divertissement représente une sortie, une mise entre parenthèses des contraintes qui font notre condition. Par « condition », il faut comprendre, selon les cas, notre condition socio-professionnelle – d’étudiant·es, d’employé·es, de parents, etc. – comme notre condition humaine – sortir de la maladie ou de la fatigue, du deuil ou encore de certaines considérations spirituelles ou philosophiques.
Un double-exemple permettra de clarifier et développer ces pensées : jouer du piano et regarder une série. Dans les deux cas, il y a des personnes pour qui ces activités représentent une source de divertissement et de liberté comme il y a des personnes pour qui elles renvoient à des devoirs, des responsabilités : la pianiste professionnelle doit préparer son programme de concert et la critique doit regarder la série jusqu’au bout pour terminer son essai. La même distinction s’opère entre les sportives amatrices et professionnelles. « Travail » au sens large et « divertissement » semblent donc être les deux facettes d’une même pièce : l’activité. Dans ces deux exemples, l’activité reste la même et c’est le rapport, les buts visés, en somme le degré d’engagement à son égard, qui change.
Certaines personnes disent parfois qu’elles regardent des films pour « se distraire ». Intuitivement, cette approche semble avoir moins de valeur morale que lorsqu’une personne dit regarder des films pour se cultiver ou par passion. Si les deux cas renvoient cette fois à un divertissement, une nuance les distingue à nouveau en termes de degrés d’engagement. Dans le premier, nous sommes plutôt passif·ves et ne cherchons rien de plus qu’un moment de repos et de liberté, un plaisir rapide et simple. Dans le second cas en revanche, nous sommes plutôt actif·ves, prêt·es à y mettre un certain effort, une certaine attention car nous poursuivons tout de même certains buts au-delà d’une forme de repos, des buts simplement détaché·es de nos contraintes habituelles, comme lorsque la critique regarde un film pour son propre plaisir ou que la pianiste peut jouer son œuvre préférée, qu’elle soit au programme ou non.
C’est peut-être ce qui fait que nous valorisons en général plutôt des activités comme la pratique d’un sport ou d’un art que des « activités » comme passer du temps sur les réseaux sociaux : toutes peuvent offrir un moment de liberté et une forme de repos mais certaines peuvent être plus enrichissantes, plus créatives que d’autres et nous permettre de mieux revenir à notre condition, de mieux faire face à nos contraintes. Une bonne séance de sport aide généralement mieux à se remettre au travail qu’une heure sur les fils d’actualité. Les jeux peuvent aider à synthétiser les apprentissages à tout âge et de toute pratique. Etc.
Quelle place donc pour le divertissement dans une vie humaine ? Vraisemblablement, une place essentielle, libératrice et potentiellement enrichissante. Toutefois, force est de constater que si tous les divertissements semblent avoir des vertus libératrices, le divertissement peut devenir problématique dès lors qu’il devient source de procrastination ou de fuite vis-à-vis de nos responsabilités plutôt que temps de repos ou de prise de recul pour mieux y faire face par après. Comme pour toutes les sources de plaisir ou de liberté, la modération semble donc de mise, dans certains cas plus que d’autres puisque nous pouvons passer de longues heures d’affilées sur nos smartphones mais pas autant à lire ou faire du sport intensif.
Et qu’en est-il de la place du divertissement dans une vie humaine aujourd’hui ? Question vaste que nous laisserons en suspens mais dont nous pouvons relever les premières impressions : nous sommes aujourd’hui dans une société où abondent, à toute heure, les possibilités de divertissement instantanées et les sources de distractions incontrôlées. D’une part, cette abondance nous incite au dérèglement mais d’une autre, ne serions-nous pas aussi plus enclin·es à chercher la fuite et la libération alors que nos existences se retrouvent toujours plus confrontées aux enjeux sans précédent de nos sociétés et aux contraintes et responsabilités qui en découlent ? Autre question qui restera ouverte à une réflexion ultérieure, probablement peu divertissante…mais probablement enrichissante !
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