Fin juin 2024. A l’heure des remises de diplômes et de vacances méritées, nous nous sommes demandé·es si le besoin de reconnaissance était essentiel à notre bonheur. S’il nous a rapidement semblé que oui, il fallait encore et surtout chercher à comprendre ce qui pouvait justifier cette intuition, mais aussi la nuancer. Une fois de plus, des définitions s’imposaient pour mieux comprendre, penser…et (se) questionner bien entendu.
Qu’est-ce que la reconnaissance pour commencer ? Vaste question une fois de plus mais nous pouvons en présenter les traits principaux comme suit. Dans son sens commun, la reconnaissance est i) un acte, un geste ii) par lequel nous témoignons à autrui que nous prenons acte iii) de quelque chose qui lui est relatif. Reconnaître, c’est dire “moi aussi, je sais/je vois”. Connaître à son tour. Re-connaître.
Lorsque je croise ma voisine en ville et que je la salue d’un sourire (i), je lui signifie (ii) que je l’ai bien reconnue, elle (iii). De même, si une enfant me montre un dessin, je vais lui montrer (ii) que je le regarde (i) en portant mon regard sur le dessin (iii). Et le plus souvent, même si elle m’a juste dit “regarde mon dessin”, mon regard va s’accompagner d’un compliment sur sa réalisation, pour m’assurer qu’elle a bien senti que j’ai considéré sa création (ii).
L’enfance justement. Parlons-en. Car la reconnaissance porte le plus souvent aussi une confirmation ou une infirmation de la valeur qu’autrui porte à une chose, à un geste, à un acte. Saluer sa voisine dans la rue, c’est reconnaître que nous sommes lié·es par le fait d’habiter proche l’un·e de l’autre et de partager des références communes. Complimenter le dessin d’une enfant, c’est le reconnaître mais surtout montrer que, nous aussi, nous trouvons joli ce dessin. Même si, souvent, notre compliment n’est pas sincère. Cela dit, nous le formulons quand même car nous avons à cœur de valoriser non pas la qualité du résultat pictural mais l’effort et l’engagement effectué dans une activité saine, stimulante et créative.
A l’inverse, si un enfant se met maintenant à dessiner sur le mur du salon - lequel est aussi blanc et plat que la feuille, soit dit en passant –, nous allons rapidement lui faire savoir qu’il ne doit pas continuer car "ce n’est pas bien de dessiner sur les murs". Or, cet acte qui va de la réprimande à l’indication est forcément précédé du fait que nous avons d’abord reconnu que l’enfant dessinait sur le mur dudit salon. Et par notre intervention, nous lui avons montré, signifié, que dessiner sur les murs n’a pas la même valeur qu’il aurait pu innocemment le penser.
Il y a donc quelque chose dans la reconnaissance qui est de l’ordre de la prise de conscience partagée mais qui s’accompagne presque systématiquement de quelque chose qui est plutôt de l’ordre de l’indication, de l’évaluation. La reconnaissance, ce n’est rarement qu’un “moi aussi, je sais/je vois”. C’est le plus souvent un “moi aussi, je pense que”, ou un “je vois mais je ne pense pas que”. Un partage de conscience suivi d’un partage de valeur.
La reconnaissance nous semble donc essentielle au bon développement d’un être car elle est une condition préliminaire pour évaluer une chose donnée et nous éduquer face à elle. “C’est bien de dessiner, continue ainsi.” Ou “c’est bien de dessiner mais pas sur les murs.” Éduquer, pourrions-nous dire en pensant à l’étymologie du terme, c’est montrer un chemin vers les choses qui nous semblent bonnes et indiquer les chemins à éviter vers les choses qui nous semblent mauvaises. A travers la reconnaissance, nous indiquons donc à un·e enfant si il ou elle va dans ce que nous considérons comme la bonne direction. Et plus nous le faisons, plus nous permettons à l’enfant d’être conscient·e quant à la qualité de ses actions et de ses choix. La reconnaissance indique et, par-là, permet de se situer, de se connaître et de grandir.
La reconnaissance que les autres nous portent nous oriente ainsi dans la vie et, lorsque nous sommes bien dirigé·es, nous aide à cheminer vers le bonheur. De l’enfance à la politique, elle nous indique si ce que nous souhaitons, ce que nous faisons et, ultimement, ce que nous sommes, correspond à ce que le groupe reconnaissant, qu’il soit privé ou public, majoritaire ou non, considère comme bon ou mauvais. Cela dit, nous pouvons constater qu’il y a dans la reconnaissance, outre la dimension indicative – et donc éducative – que nous avons souligné, une dimension affective qui la confond avec l’amour. En effet, aimer implique d’abord de reconnaître l’être et la valeur de la relation que nous partageons. Par exemple, si nous aimons ou non nos parents, c’est d’abord parce que nous nous reconnaissons comme leur enfant.
Et c’est là que les choses se complexifient grandement, et à mesure que nous grandissons. Car dès l’enfance, nous confondons l’amour, l’affection qui présuppose toujours une part de reconnaissance, avec la reconnaissance qui en elle porte souvent mais pas toujours une part d’affection.
Nous comprenons alors mieux pourquoi nous sommes parfois prêt·es à bien des extravagances pour un brin d’approbation, nourri·e par l’espoir d’y trouver de l’affection. Car, en tant qu’êtres humains, nous ne désirons pas qu’être orienté·es par nos pairs mais surtout nous sentir approuvé·e, respecté·e, apprécié·e. En somme, se sentir aimé·e et appartenir. Et justement, il y a dans souvent l’acte de reconnaissance comme toujours dans l’amour cette part d’accueil et de bienveillance qui rassure, qui fait du bien, qui participe à se sentir aimé·e ou au moins accepté·e, en sécurité. Les adolescent·es en savent peut-être quelque chose. Les personnes et communautés marginalisées pour sûr.
C’est probablement ce double aspect souvent conjoint et confondu, indicatif et affectif, combiné à notre nature d’être vulnérable, fragile et qui doute qui fait de la reconnaissance un besoin essentiel pour grandir et s’épanouir. Et si vraisemblablement nous pouvons, au fil des expériences, développer une autonomie (toujours partielle) et un esprit critique nous affranchissant des indications de certain·es, il semble difficilement envisageable que nous puissions nous défaire de toute forme d’affection, laquelle présuppose une reconnaissance comme nous l’avons vu.
Une vie soudainement seul·e au monde ne serait-elle pas rapidement dénuée de sens, de valeur et d’amour ? L’espérance, l’imagination et ou la foi pourraient-elles suffire à nous animer ?
Nous aurons l’été pour y songer.
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